Lors de la visite du président chinois Xi Jinping en France au mois de mai, pendant un repas avec le président français Emmanuel Macron, un gâteau portant le nom de « Russe », initialement prévu au menu, a été remplacé à la dernière minute par une tarte en raison de son nom jugé peu opportun dû à la guerre d'agression de la Russie en Ukraine. Un incident diplomatique, ou plutôt gastronomique, a ainsi été évité et rappelle que la cuisine est, depuis toujours, influencée par les échanges avec les autres cultures.
La version la plus célèbre de ce dessert se nomme le Russe et est composée d'un biscuit à base d'amande, de pâte de praliné et couvert de sucre glace. Ce gâteau n'est ironiquement pas russe, mais français puisqu'il a été créé en 1925 par le pâtissier Adrien Artigarrède, dont la pâtisserie, installée à Oloron-Sainte-Marie dans les Pyrénées-Atlantiques où avait lieu une partie de la visite de Xi Jinping, existe toujours.
Ce gâteau aurait été nommé le « Russe » parce qu'il utilisait, dans sa première recette, des amandes importées de Crimée, aujourd'hui territoire ukrainien occupé par la Russie. Ce serait aussi parce que la couleur blanche de la surface du gâteau rappellerait les plaines enneigées de la Russie.
Il est intéressant de remarquer que des versions similaires à ce gâteau, notamment en Russie et dans les pays de l'ex-Union soviétique, portent le nom de gâteaux Napoléon. Ces gâteaux, semblables à des mille-feuilles, sont composés de plusieurs couches de pâte feuilletée, alternant avec des couches de crème pâtissière.
La cuisine russe, bien qu'elle soit constituée d'une multitude de cultures qui l'ont influencée au cours des siècles, reste, à l'étranger, associée à certains plats considérés comme typiquement russes. En tête se trouvent la vodka et le caviar, mais aussi d'autres plats qui à l'étranger s'accompagnent de l'adjectif russe.
Il y a par exemple la salade russe composée d'une macédoine de légumes, d'une sauce mayonnaise et parfois de viandes et d'oeufs. Cette salade a toutefois été inventée à la fin du XIXe siècle par le chef franco-belge Lucien Olivier, du restaurant français L'Ermitage à Moscou, et porte d'ailleurs le nom de salade Olivier en Russie et ailleurs dans les pays de l'ex-Union soviétique de même que dans certaines parties de l'Europe de l'Est.
Certaines recettes utilisent l'adjectif « russe » uniquement en dehors de la Russie, de la même manière que l'expression « pain français » est employée pour désigner une baguette dans des boulangeries partout à travers le monde sauf en France où, évidemment, on n'utilise jamais cette expression. Un autre exemple sont les frites, qu'on nomme souvent « French fries » aux États-Unis, mais aussi au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande, alors que cette expression n'est jamais utilisée en France.
Les « french fries » ont en réalité des origines belges, où elles sont une spécialité depuis le XVIIe siècle. L'expression « french fries » vient probablement du fait que les soldats américains en poste en Belgique pendant la Première Guerre mondiale ont goûté ces frites et les ont appelées ainsi en raison de la langue française parlée en Belgique.
D'ailleurs, cette désignation a fait en sorte que lorsque les relations diplomatiques franco-américaines se sont refroidies, en raison de la non-participation de la France au conflit en Irak en 2003, une partie de la droite américaine a temporairement rebaptisé les « french fries » en « freedom fries ». La gastronomie se retrouve donc parfois, bien malgré elle, au coeur de la diplomatie, voire au sein des conflits géopolitiques.
Le gâteau russe au menu du repas entre Xi Jinping et Emmanuel Macron n'avait de russe que le nom. Cependant, dans les dîners diplomatiques, rien n'est laissé au hasard, pas même un détail qui pourrait donner l'impression qu'on cherche à faire passer subtilement des messages.
Il est sans doute peu probable qu'une poutine ou qu'une poutine râpée se retrouve un jour sur le menu d'un dîner diplomatique. C'est encore moins probable que cela se produise durant l'actuelle guerre d'agression de la Russie en Ukraine étant donné le risque que cela soit mal interprété.
Article publié dans L’Acadie Nouvelle du 25 mai 2024: https://www.acadienouvelle.com/chroniques/2024/05/24/diplomatie-et-patisserie-le-gateau-russe/