On utilise parfois l’expression « le vrai du faux » pour faire la part des choses entre ce qui est vrai et ce qui est faux. Dans le cas de la vidéo qui a circulé en boucle sur les réseaux sociaux, montrant Brigitte Macron giflant son mari, le président français Emmanuel Macron, c’est plutôt « le faux du vrai » qu’on serait tenté d’utiliser pour analyser la situation.
Le lundi 26 mai, une caméra de l’agence Associated Press filme l’arrivée à Hanoï, au Vietnam, de l’avion présidentiel français, au moment où Emmanuel Macron et son épouse s’apprêtent à descendre. La porte s’ouvre et on voit Brigitte Macron poser ses mains sur le visage de son mari, qui recule. L’instant suivant, Emmanuel Macron, conscient d’être filmé, sourit, salue et descend les escaliers. Son épouse le suit sans tendre le bras à son mari qui tente, sans succès, de lui prendre la main.
Cette courte séquence, bien que sans grand intérêt en dehors peut-être du couple Macron lui-même, a rapidement fait le tour des réseaux sociaux. Il était prévisible qu’un tel extrait, chargé d’ambiguïté, déclenche autant d’attention.
Pourtant, les services de communication de l’Élysée, siège de la présidence française, ont d’abord nié la véracité de cette vidéo bien qu’elle soit authentique et filmée par la célèbre agence Associated Press. Sur le plan politique, cette stratégie s’est révélée contre-productive, puisqu’elle nourrit la méfiance croissante de la population envers les institutions et les médias.
Les images sont réelles et n’ont rien d’un montage, encore moins d’une manipulation par intelligence artificielle, mais ce qui prête à confusion, c’est l’interprétation qu’on en fait, et c’est là que naissent les dérives, jusqu’aux fake news. Sans doute pour tenter de désamorcer l’emballement, Emmanuel Macron a convoqué les journalistes le lendemain, évoquant un simple quiproquo et décrivant la scène comme un moment de complicité entre époux.
Il semble y avoir une stratégie de désinformation qui utilise des images véridiques, mais en fait une interprétation sans fondement, et rediffuse ces images sur les réseaux sociaux. Cette stratégie, comme il l’a souligné lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron en a été une cible récurrente.
Par exemple, durant la nuit du 10 au 11 mai, dans un train en direction de Kyiv, en Ukraine, avec le chancelier allemand Friedrich Merz et le premier ministre britannique Keir Starmer, des images montrent Emmanuel Macron saisir un petit objet blanc. C’était un mouchoir en papier, alors que, sur les réseaux sociaux, on indiquait qu’il tentait de dissimuler un sachet de cocaïne.
Un peu plus tard, le 16 mai, des images montrent le président turc Recep Tayyip Erdogan serrer la main d’Emmanuel Macron, mais étrangement lui retenir un doigt, le majeur. Encore une fois, les réseaux sociaux se sont emparés de cette séquence vidéo pour y voir un rapport de domination et de force géopolitique.
À chaque fois, ces images sont utilisées, particulièrement par l’extrême droite et des courants complotistes, avec l’intention de nuire. Ces campagnes de désinformation, souvent relayées ou initiées par des fermes à trolls – ces réseaux organisés de faux comptes qui inondent les réseaux sociaux de messages pour le compte d’entreprises ou d’États – cherchent à semer le doute, brouiller les repères et fragiliser le débat démocratique.
Il semble y avoir une stratégie de désinformation qui utilise des images véridiques, mais en propose une interprétation délibérément déformée, rediffusée en boucle sur les réseaux sociaux. Cette méthode, énoncée par le stratège d’extrême droite Steve Bannon, ancien conseiller du président américain Donald Trump lors de son premier mandat, lors d’un discours à la Conservative Political Action Conference (CPAC) 2025 à Washington en février dernier, consiste à inonder l’espace médiatique pour noyer toute tentative de discernement ou de vérification.
Ainsi, la victime de cette stratégie n’est pas tant Emmanuel Macron - ou seulement en tant que victime collatérale. La vraie victime, c’est l’information elle-même, éclipsée par tout ce temps perdu à démentir l’analyse erronée d’images insignifiantes.
À l’ère des fake news, il devient de plus en plus difficile de distinguer le vrai du faux, ou dans ce cas, le faux du vrai. Ces épisodes rappellent le rôle fondamental des médias d’information, contrairement aux réseaux sociaux, qui ne se contentent pas de diffuser des images, mais doivent aussi les interpréter et les mettre en contexte.
Article publié dans L’Acadie Nouvelle du 31 mai 2025.