Le 1er décembre 2024, le président des États-Unis, Joe Biden, a accordé une grâce présidentielle à son fils, Hunter Biden, poursuivi à plusieurs reprises par la justice, avec des condamnations menaçant de l'envoyer en prison et la possibilité de nouvelles poursuites à l'avenir. Bien que cette décision puisse être compréhensible sur le plan humain, elle soulève de graves questions sur l'avenir de la séparation entre la politique et la justice aux États-Unis.
La tradition de la grâce présidentielle aux États-Unis remonte à la Constitution de 1787, qui accorde au président le pouvoir de pardonner les crimes fédéraux, et s'inspire directement de la prérogative royale britannique de grâce, exercée par les monarques. C’est donc ironiquement dans un pays né d’une révolution contre la monarchie qu'on a conservé, dans un régime fondé sur l’idée d’égalité devant la loi, un outil quasi-royal.
Malgré son apparence anachronique, le pardon présidentiel reste un outil potentiellement utile pour corriger des erreurs judiciaires ou favoriser des initiatives de réconciliation nationale, comme les grâces accordées à des soldats de la guerre civile américaine ou aux objecteurs de conscience de la guerre du Vietnam. Ce pouvoir trouve une illustration symbolique et amusante dans la tradition, depuis le président Ronald Reagan, de « gracier » une dinde à l’Action de grâce, transformant un geste d’autorité en une mise en scène humoristique.
C’est ce qu’a d’ailleurs fait le président Joe Biden encore cette année, en graciant les dindes Peach et Blossom à la Maison Blanche à Washington, avant de se rendre à Nantucket, une île du Massachusetts, pour célébrer l’Action de grâce en famille, comme il le fait depuis plus de 40 ans. C’est durant ce long week-end à Nantucket, en compagnie de ses enfants et petits-enfants, dont son fils Hunter, que Joe Biden affirme avoir pris cette décision difficile.
Or, durant ce même week-end de l’Action de grâce américaine, Donald Trump a annoncé que, dès son arrivée au pouvoir en janvier 2025, il remplacerait Christopher Wray, directeur du FBI, par Kash Patel, l’un de ses partisans les plus zélés et extrémistes, promettant de répondre à son désir de vengeance face à ses propres déboires judiciaires. Le profil des personnes nommées dans la future administration de Donald Trump a sans doute influencé la décision de Joe Biden.
Ainsi, Joe Biden a accordé la grâce présidentielle, pleine et inconditionnelle, à son fils Hunter Biden, couvrant tous les faits qu’il a commis, pu commettre ou auxquels il aurait participé entre le 1er janvier 2014 et le 1er décembre 2024, le protégeant de toute poursuite judiciaire actuelle ou future. Annoncée par communiqué le 1er décembre, cette décision précède des échéances judiciaires importantes pour Hunter Biden, qui devait entendre, le 12 décembre, sa peine pour l'achat et la détention illégale d’une arme à feu en 2018, alors qu’il était sous l’emprise de la drogue, et, le 16 décembre, sa sentence pour fraude fiscale en Californie, des affaires que les juges devraient désormais clore.
Cette décision de Joe Biden, à quelques jours de la fin de son mandat, est en contradiction avec ses engagements, notamment celui de ne pas interférer dans les décisions de la justice et de respecter l’État de droit. Elle contraste également avec son attitude exemplaire depuis le début des procédures concernant son fils par le procureur spécial David Weiss, qui bénéficie d’un statut garantissant son autonomie, en s’assurant de la séparation entre le président et l’appareil judiciaire, selon la pratique établie dans les affaires sensibles depuis le scandale du Watergate, qui avait contraint le président Richard Nixon à démissionner en 1974.
Pour faire passer cette décision, la stratégie de communication de Joe Biden mise sur l’empathie de la population. Il insiste pour dire que ce n’est pas seulement la décision d’un président, mais aussi celle d’un père.
Le communiqué, rédigé sur un ton très personnel, rappelle que Hunter Biden, qui a connu d’importants problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie, est désormais sobre depuis cinq ans et demi. Il souligne également que les attaques contre Hunter Biden visent en réalité le président Joe Biden, et que cette tendance pourrait se poursuivre, rappelant l’acharnement des médias populistes et de certains élus républicains proches du mouvement « Make America Great Again », qui ont tenté de faire de son fils le symbole de la corruption présumée de Joe Biden, une accusation qui n’a jamais été prouvée.
Cette décision est peut-être légale, mais elle entache l’image de Joe Biden, qui était associé au respect des institutions et au principe d’égalité devant la loi, par contraste avec son rival Donald Trump, lui associé à de multiples condamnations pour des agressions sexuelles et pour la falsification de documents comptables. Une autre conséquence de cette décision est qu’il sera difficile pour les démocrates de critiquer Donald Trump lorsqu’il utilisera probablement la grâce présidentielle, notamment pour gracier les émeutiers du 6 janvier 2021 au Capitole.
Cette grâce présidentielle, où un père gracie son fils, illustre comment l’intime, la justice et la politique peuvent parfois se confondre. Cette décision, aussi humaine soit-elle, risque d’avoir des conséquences politiques lors du prochain mandat de Donald Trump.
Article publié dans L’Acadie Nouvelle du 7 décembre 2024: https://www.acadienouvelle.com/chroniques/2024/12/06/la-grace-presidentielle-du-fils-lintime-qui-eclipse-la-justice/