Le vert et le brun: l’instrumentalisation de l’écologie par l’extrême droite

L’écologie constitue un enjeu de la plus grande importance pour l’avenir de la planète, et la prise de conscience de cette préoccupation par l’ensemble du spectre politique, y compris à l’extrême droite, devrait susciter de l’optimisme à première vue. Il faut toutefois être vigilant, car l’instrumentalisation qu’en fait l’extrême droite à travers le monde a de quoi inquiéter.
Il y a des débats sur les questions environnementales, notamment sur le réchauffement climatique, et sur les actions à prendre. Cependant, en général, il existe un consensus voulant que tout le monde souhaite avoir l’air le plus pur et l’eau la plus propre, reprenant ainsi la formule de l’ancien président Donald Trump en 2019 lorsqu’il critiquait l’Accord de Paris.
Les populistes et les démagogues sont devenus experts dans la réappropriation et la déformation de concepts, les détournant de leur sens initial pour les exploiter à leur avantage. L’écologie n’échappe pas à cette tendance, et lorsqu’elle est manipulée par l’extrême droite, elle peut devenir un prétexte pour promouvoir des idées xénophobes, notamment en s’opposant à l’immigration.
Il y a déjà de nombreuses décennies que des théoriciens d’extrême droite ont établi des liens entre le nationalisme identitaire et l’écologie, créant un étonnant mélange vert et brun qui incorporait des éléments de philosophie naturiste et même d’ethnoécologisme. Souvent, cette fusion de concepts visait à promouvoir l’eugénisme pour préserver la pureté de la race, tout en s’opposant à des pratiques telles que l’avortement et la fluorisation de l’eau.
Au cours des dernières années, de plus en plus de partis d’extrême droite se penchent sur les questions environnementales afin d’établir des parallèles entre la préservation de la biodiversité et la protection des peuples nationaux, cherchant ainsi à légitimer leurs positions en faveur du repli sur soi et de la méfiance envers la diversité culturelle. Avec une approche inédite, l’extrême droite, traditionnellement moins concernée par la crise climatique, s’oppose désormais à l’immigration en alléguant qu’elle amplifie l’empreinte écologique et complique l’atteinte des objectifs climatiques de réduction des gaz à effet de serre.
Il s’agit d’une forme de « greenwashing nationaliste », comme le veut la formule de l’essayiste Pierre Madelin. Il a d’ailleurs récemment publié l’essai La tentation écofasciste: Écologie et extrême droite (Écosociété, 2023), qui s’intéresse aux liens entre l’extrême droite et la défense de l’environnement de même qu’à ceux entre crise climatique et repli identitaire.
L’extrême droite, en défendant l’écologie, présente une vision différente de celle de la gauche qu’elle caricature. Elle affiche son soutien à l’écologie tout en rejetant les mesures environnementales qu’elle associe à une gauche perçue comme urbaine et déconnectée.
L’extrême droite va ainsi parler de son souhait d’un environnement sain, mais à la condition que cela ne se fasse pas au détriment de l’économie et des emplois. On va également défendre la voiture individuelle et les véhicules utilitaires ainsi que les routes et les autoroutes, bref, clairement afficher que la vision écologiste de l’extrême droite n’est pas une vision urbaine et déconnectée des régions.
En adoptant l’écologie dans leurs programmes, les partis d’extrême droite peuvent ainsi adoucir leur image et élargir leur base électorale. Cette récupération d’une valeur qui est fortement associée à la gauche peut donc être payante politiquement et, surtout, n’a rien de nouveau pour l’extrême droite.
On avait remarqué, au cours des deux dernières décennies, une opération semblable qui s’était faite avec la laïcité. La laïcité, autrefois fortement associée à la gauche, a été récupérée par l’extrême droite pour en proposer une version plus musclée – qui n’a de laïcité que le nom –, qui cherche à atténuer la diversité religieuse et à protéger l’héritage catholique en tant que patrimoine culturel.
L’écologie, réinterprétée à travers son prisme idéologique, pourrait-elle devenir le nouveau cheval de bataille de l’extrême droite? Il est primordial de maintenir une vigilance constante face à toute instrumentalisation de l’écologie qui ne contribuerait en rien à la véritable cause environnementale.
Article publié dans L’Acadie Nouvelle du 7 octobre 2023: https://www.acadienouvelle.com/chroniques/2023/10/07/le-vert-et-le-brun-linstrumentalisation-de-lecologie-par-lextreme-droite/