La tronçonneuse et la hache, outils indissociables des forêts et du travail du bois, évoquent l’image d’une coupe brutale, tranchant à travers les arbres et les obstacles. À travers le monde, les populistes les utilisent comme symboles pour dénoncer un État jugé trop dépensier et inefficace, prônant des réductions drastiques et immédiates.
Le président argentin Javier Milei est sans doute le plus célèbre représentant de cette rhétorique populiste, brandissant une fausse tronçonneuse en plastique lors de sa campagne présidentielle de 2023 pour symboliser la coupe drastique des dépenses publiques. Avec une posture provocatrice, il incarne cette volonté de réduire l’État à sa plus simple expression, usant de l’image d’un abattage radical pour convaincre ses partisans.
Au Canada, on peut penser à Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur du Canada, qui a popularisé le slogan « axe the tax » – traduit officiellement par « supprimer la taxe » –, jouant sur la polysémie du mot « axe », qui signifie aussi « hache » en anglais, et utilisant cet outil comme symbole de sa volonté de réduire les impôts et les dépenses publiques. Cette image de la hache est sans doute payante politiquement, puisqu’elle est profondément ancrée dans l’imaginaire canadien du bûcheron et des forêts, évoquant l’idée de tailler dans ce qu’il perçoit comme un fardeau fiscal excessif, tout en promettant un gouvernement plus efficient et respectueux des citoyens.
Manier la tronçonneuse ou la hache permet des mises en scène efficaces à l’ère des réseaux sociaux, où la communication se fait souvent par de courts clips vidéo de quelques secondes. Ces images sont souvent un exemple parmi d’autres de l’effritement des frontières entre le divertissement et la politique.
Aux États-Unis, sans utiliser l’image de la tronçonneuse ou de la hache, Elon Musk joue sur le même registre avec son Département de l’Efficacité gouvernementale, plus connu sous son nom anglais « Department of Government Efficiency » et encore plus sous son acronyme DOGE. Avec fierté sur son réseau social X, il annonce les coupures dans la fonction publique de ce qu’il juge être une bureaucratie ou des fonctionnaires inutiles.
En France, en 1947, bien avant l’abolition de la peine de mort en 1981, le président du Conseil Paul Ramadier, bien qu’il ne puisse être considéré comme populiste, avait créé un « comité de la guillotine » chargé de couper dans les dépenses. L’image de la guillotine peut paraître plus violente, mais, quand on y pense, pas beaucoup plus que celle de la tronçonneuse, qui évoque les films d’horreur de série B des années 1970 tels que Massacre à la tronçonneuse.
La question n’est donc pas tant celle de la coupe elle-même – certaines réductions budgétaires peuvent être justifiées, voire nécessaires – mais plutôt l’illusion populiste selon laquelle une seule réponse brutale suffirait à résoudre des problèmes complexes. Derrière la mise en scène de la hache ou de la tronçonneuse se cache une vision simpliste de la gouvernance, où la destruction est confondue avec la réforme et où l’efficacité se mesure à l’ampleur des coupes plutôt qu’à leurs effets réels.
Or, ces décisions abruptes entraînent souvent des conséquences imprévues, affaiblissant des services essentiels sous prétexte d’éradiquer le gaspillage. J’ai d’ailleurs exploré cette dynamique dans mon essai La dérive populiste (Poètes de brousse, 2013), où j’observe comment cette approche, en misant sur des solutions simplistes et spectaculaires, reflète les mécanismes plus larges du populisme et ses effets sur le débat démocratique.
On pourrait utiliser l’image du balai, comme l’avait fait de façon populiste également le gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger en 2003, pour représenter celui qui allait éliminer le gaspillage et la corruption. Cependant, bien que le balai envoie une image de celui qui veut faire le ménage, la hache et la tronçonneuse envoient plutôt l’image encore plus forte de la tabula rasa.
La hache et la tronçonneuse envoient le message qu’il faut aller au-delà de la bonne gestion; il faut mettre dehors, adopter une logique de dégagisme où l’on cherche à écarter ceux qui ne répondent plus aux attentes, souvent au détriment de l’efficacité réelle. Cette tendance du marketing politique à utiliser des images de plus en plus fortes, penchant même parfois du côté de la violence, témoigne d’un populisme et d’une polarisation croissante au sein des démocraties.
Article publié dans L’Acadie Nouvelle du 15 février 2024: https://www.acadienouvelle.com/chroniques/2025/02/14/tronconneuse-hache-et-populisme/