Bien que Vienne soit indéniablement une ville internationale, la capitale autrichienne ne se positionne pas comme un centre d’innovation comparable à New York ou Londres. Pourtant, au cours de son histoire, Vienne a été un foyer intellectuel qui a permis un bouillonnement d’idées, les meilleures comme les pires.
C’est à cette histoire que s’est intéressé Richard Cockett, journaliste au magazine The Economist, dans son essai Vienna : How the City of Ideas Created the Modern World (Yale University Press, 2023) récemment publié. On le sait peu, mais le néolibéralisme, la publicité moderne, le concept de centre commercial et les cuisines équipées partagent tous un lien avec la ville de Vienne.
Si Vienne a pu, à une certaine époque, être un foyer d’innovation, c’est grâce aux nombreux intellectuels qui y ont vécu une partie de leur vie dont on peut citer, parmi les plus connus, le neurologue et fondateur de la psychanalyse Sigmund Freud, l’économiste Friedrich Hayek et le philosophe Karl Popper.
Il y a également des figures moins connues de cette époque, dans la première moitié du XXe siècle, telles que Margarete Lihotzky, pionnière de la cuisine équipée, et Herta Herzog, qui, en développant le groupe de discussion, parfois appelé « focus group », est devenue l’une des femmes les plus influentes de l’industrie publicitaire, notamment à Madison Avenue à New York.
Le succès de Vienne au début du XXe siècle s’explique également en partie par son cosmopolitisme. Étant la capitale de l’empire austro-hongrois de la dynastie des Habsbourg, Vienne a pu attirer les esprits les plus brillants des peuples de l’empire.
Cependant, cette effervescence cosmopolite s’est estompée lors de la Première Guerre mondiale et surtout après la chute de l’Empire austro-hongrois en 1918. L’Autriche a ensuite traversé une crise économique qui a toutefois permis à Vienne de devenir un laboratoire de politiques sociales et économiques.
Quelques années plus tard, lors de l’Anschluss, soit l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie, en 1938 et de la période fasciste qui en suivit, le cosmopolitisme était devenu un mot tabou. Dans son essai, Richard Cockett explore également cette période sombre de l’histoire viennoise.
En fait, l’influence insoupçonnée de Vienne s’explique également par cette période sombre où de nombreux intellectuels viennois ont été contraints à l’exil, s’installant partout dans le monde, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ainsi, des idées nées à Vienne ont pu prendre racine dans des terrains plus fertiles ailleurs dans le monde.
Parmi ces Viennois qui ont trouvé exil aux ÉtatsUnis, on peut penser à Hedy Lamarr, actrice dans le mythique et scandaleux, du moins pour l’époque, film Extase du cinéaste tchèque Gustav Machaty, qui devint, dans les années 1940 et 1950, une star hollywoodienne. Elle est également reconnue pour avoir inventé, avec le pianiste et compositeur George Antheil, un moyen de coder des transmissions, dont le principe fondamental en télécommunication est encore utilisé aujourd’hui pour le WiFi, le GPS et le Bluetooth.
D’ailleurs Hollywood a été un lieu d’exil de plusieurs cinéastes issus de l’empire austro-hongrois qui ont fortement influencé le cinéma américain. On peut penser à Max Reinhardt, Fritz Lang, Otto Preminger, Billy Wilder et Fred Zinnemann.
Ainsi, les émigrants d’origine viennoise ont joué un rôle majeur dans les universités britanniques et américaines, de même que dans les affaires et sur la scène culturelle. L’histoire de Vienne permet de mieux comprendre ce qui peut favoriser ou nuire à la compétitivité des villes.
C’est sans doute Stefan Zweig, dans son roman Le Monde d’hier : souvenirs d’un européen, devenu un classique de la littérature, qui décrit le mieux le cosmopolitisme qui a fait l’essor de la ville de Vienne. Cependant, au cours des dernières années, le cosmopolitisme qui a fait la réputation et le succès de Vienne semble s’éloigner.
Dès 1999, l’Autriche était dirigée par une coalition comprenant le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), un parti d’extrême droite fortement hostile à l’immigration, dirigé à l’époque par le populiste et controversé Jörg Haider. En 2017, des ministres issus du FPÖ se sont retrouvés à la tête de ministère dans le cadre d’un gouvernement de coalition.
Au cours des dernières décennies, l’extrême droite a maintenu une présence importante dans le paysage politique autrichien, et les derniers sondages indiquent qu’elle est plus populaire que jamais, avec des positions encore plus radicales sur l’immigration. Les prochaines élections législatives n’auront lieu qu’en septembre 2024, mais avec le FPÖ en tête des sondages, rien ne laisse présager que Vienne renouera avec ce qui a fait son succès lors de son âge d’or.
Article publié dans L’Acadie Nouvelle du 27 janvier 2024: https://www.acadienouvelle.com/chroniques/2024/01/27/vienne-ville-didees/